Le retour du castor d’Europe (Castor fiber) en Bretagne, après plus de 500 ans d’absence, est l’un des succès écologiques les plus remarquables — et les plus méconnus — de la décennie. En 2025, alors que près de 80 individus peuplent désormais les rivières bretonnes, principalement en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d’Armor, ce grand rongeur semi-aquatique, réintroduit discrètement à partir de 2018, transforme lentement mais sûrement les écosystèmes locaux — et redessine le rapport entre nature sauvage et territoires ruraux. Un récit de renaissance, de résilience, et de cohabitation retrouvée.
L’histoire commence en 2017, quand l’Office français de la biodiversité (OFB), en partenariat avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) Bretagne et le Parc naturel régional d’Armorique, lance un projet pilote de réintroduction. Objectif : restaurer un ingénieur écosystémique capable de réguler les cours d’eau, de lutter contre les inondations, et de recréer des zones humides — des milieux disparus à plus de 70 % en Bretagne depuis 1950. Les premiers castors, issus de populations allemandes et polonaises, sont relâchés de nuit, en secret, sur la Vilaine et l’affluent de la Meu, pour éviter les oppositions locales.
Les résultats dépassent les attentes. En à peine sept ans, les castors ont construit plus de 40 barrages naturels, ralentissant l’écoulement de l’eau, retenant les sédiments, et créant des mares qui attirent libellules, grenouilles, loutres et oiseaux aquatiques comme le martin-pêcheur ou le héron cendré. Des études du CNRS (2024) montrent que la biodiversité autour des sites colonisés a augmenté de 65 % — preuve que le castor est un “jardinier des rivières”. Ses coupes d’arbres (surtout des saules et des peupliers) ne détruisent pas la forêt : elles la régénèrent, en favorisant la pousse de jeunes pousses appréciées par les cervidés et les oiseaux nicheurs.
Mais ce retour ne s’est pas fait sans tensions. Les premières années, agriculteurs et élus locaux s’inquiètent : les barrages provoquent-ils des inondations ? Les arbres fruitiers sont-ils menacés ? En 2020, une pétition circule dans le pays de Redon pour “stopper l’invasion”. L’OFB répond par des mesures concrètes : pose de grillages protecteurs autour des arbres sensibles, création de déversoirs sur les barrages pour réguler le niveau d’eau, et surtout, un fonds d’indemnisation rapide — 100 % des dégâts avérés sont remboursés sous 30 jours. Résultat : en 2025, plus aucune plainte n’est enregistrée. Au contraire, certains éleveurs constatent que les prairies inondables redeviennent fertiles grâce à l’apport de limon — et réclament même des castors pour “régénérer” leurs parcelles.