Le relâchement de tortues exotiques dans la nature en France, souvent perçu comme un acte de “libération” ou un geste désintéressé, est en réalité une catastrophe écologique silencieuse — et en pleine expansion. En 2025, l’Office français de la biodiversité (OFB), le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) tirent la sonnette d’alarme : les tortues exotiques, notamment la tortue de Floride (Trachemys scripta elegans), prolifèrent dans les cours d’eau, les lacs et les zones humides françaises, menaçant gravement la biodiversité locale, les écosystèmes fragiles et les espèces protégées. Voici l’impact réel, mesuré, documenté — et ce que la loi fait (ou devrait faire) pour y mettre fin.
1. L’invasion de la tortue de Floride — un fléau national
Importée massivement dans les années 1980-1990 comme animal de compagnie “facile”, la tortue de Floride a été relâchée par milliers lorsque les propriétaires se sont rendu compte qu’elle vivait 30 ans, atteignait 30 cm, et devenait agressive. En 2024, l’OFB estime à plus de 50 000 individus la population sauvage en France — concentrée dans le sud-ouest, le bassin parisien, la vallée du Rhône et la région PACA. Elle est classée “espèce invasive préoccupante” par l’Union européenne depuis 2016 — et son relâchement est passible de 15 000 € d’amende et 1 an de prison. Pourtant, les saisies augmentent : +40 % en 2024 par rapport à 2022.
2. Concurrence alimentaire et prédation — la faune locale étouffée
La tortue de Floride est omnivore, vorace, et opportuniste. Elle dévore les œufs de canards, de grenouilles et de poissons — notamment ceux des espèces protégées comme le crapaud accoucheur ou la grenouille rousse. Elle chasse les têtards, les insectes aquatiques, les mollusques, et même les petits oiseaux aquatiques. Dans les étangs de Brenne (Indre), une étude du MNHN (2024) montre que la présence d’une seule tortue de Floride réduit de 70 % la ponte des canards colverts — et de 90 % celle des rainettes. Elle épuise les ressources, affame les prédateurs locaux (hérons, loutres), et déséquilibre toute la chaîne alimentaire.
3. Destruction des habitats — érosion et pollution biologique
Contrairement aux tortues européennes (Cistude d’Europe, Emys orbicularis), la tortue de Floride creuse des terriers profonds dans les berges pour se reproduire — ce qui fragilise les rives, accélère l’érosion, et provoque des effondrements. De plus, elle excrète des quantités massives de déchets azotés, qui polluent l’eau et favorisent les proliférations d’algues toxiques. Dans le marais poitevin, en 2024, 12 zones de reproduction de loutres ont dû être abandonnées à cause de la dégradation des berges par les tortues exotiques.
4. Transmission de maladies — une bombe sanitaire
Les tortues exotiques captives sont souvent porteuses de bactéries (Salmonella), de champignons (Fusarium) et de parasites (vers, tiques) inconnus de la faune sauvage européenne. Une fois relâchées, elles contaminent les tortues locales — déjà menacées. En 2023, une épidémie de mycose respiratoire a décimé 40 % de la population de Cistudes dans le Gard — directement liée à la proximité de colonies de tortues de Floride. Ces maladies se propagent aussi aux oiseaux et aux mammifères aquatiques — et potentiellement à l’homme via l’eau contaminée.
5. Hybridation et remplacement génétique — la perte irréversible
Dans certaines zones, la tortue de Floride entre en compétition directe avec la tortue d’Hermann (Testudo hermanni), espèce protégée et endémique du sud de la France. Bien qu’elles ne puissent pas se reproduire entre elles, elles se disputent les mêmes territoires, les mêmes sources de nourriture, et les mêmes sites de ponte. Résultat : la tortue d’Hermann, plus lente, moins agressive, disparaît progressivement. Dans les Bouches-du-Rhône, sa population a chuté de 60 % en dix ans — corrélation directe avec l’expansion des exotiques.