La réintroduction du lynx boréal (Lynx lynx) en France, entamée discrètement dans les années 1970 après sa quasi-disparition au XIXe siècle, fait aujourd’hui l’objet d’un bilan contrasté — entre succès écologique, tensions sociétales et débats politiques. En 2025, alors que la population française est estimée à environ 250 individus répartis dans les Vosges, le Jura, les Alpes et le Massif central, ce félin discret cristallise à la fois l’espoir d’une nature réparée et les craintes d’un retour du sauvage en milieu rural. Entre bilan scientifique et controverses vives, voici l’état des lieux.
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Le lynx boréal, prédateur solitaire et nocturne, a été réintroduit pour la première fois en 1973 dans les Vosges, puis dans le Jura suisse-français dans les années 1980. Ces lâchers, menés par des organismes comme l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Muséum national d’Histoire naturelle, visaient à restaurer un maillon clé de la chaîne alimentaire : régulateur naturel des populations de chevreuils, de chamois et de lièvres, le lynx contribue à l’équilibre des écosystèmes forestiers. Les résultats sont là : dans les Vosges du Nord, la surpopulation de chevreuils — source de dégâts agricoles et forestiers — a diminué de 40 % depuis 2010. Dans le Jura, la biodiversité des sous-bois s’est enrichie grâce à la régulation des ongulés.
Mais ce retour ne se fait pas sans heurts. Les éleveurs, notamment en zone de montagne (Haute-Savoie, Jura, Vosges), dénoncent des attaques récurrentes sur leurs troupeaux de moutons, chèvres et même veaux. En 2024, l’OFB a recensé 187 cas d’attaques confirmées — un chiffre en hausse de 15 % par rapport à 2022. Si le lynx reste un prédateur opportuniste (il ne représente que 0,5 % de la prédation sur les troupeaux, loin derrière les chiens errants), chaque perte est vécue comme un drame économique et symbolique. Les indemnisations, gérées par les Directions départementales des territoires (DDT), sont souvent jugées insuffisantes ou trop lentes — malgré un budget national de 2,3 millions d’euros en 2025.
Les chasseurs, eux, s’inquiètent de la pression accrue sur le gibier. Dans les Alpes du Nord, certaines fédérations de chasseurs estiment que le lynx menace la viabilité des populations de chamois — bien que les études scientifiques montrent que ce sont plutôt les conditions hivernales et la surchasse qui pèsent sur les effectifs. En 2025, un rapport du CNRS confirme que le lynx ne chasse que les individus faibles ou malades — un rôle sanitaire bénéfique pour les troupeaux sauvages.